- GUILLAUME LE TACITURNE
- GUILLAUME LE TACITURNELe surnom de Taciturne qui fut donné au prince allemand Guillaume Ier d’Orange ne semble pas antérieur au XIXe siècle, mais il illustre bien le secret dont s’entourait ce prince dans un siècle de méfiance et d’intolérance. Penseur et homme d’action, animé d’un patriotisme au-dessus du nationalisme, moderne dans ses idéaux démocratiques, fraternel, esprit libre et homme politique libéral, Guillaume le Taciturne a tenté de promouvoir dans le gouvernement des hommes les grandes leçons de l’humanisme. Ses échecs sont aussi capitaux que ses succès. Les uns et les autres ont contribué, en s’appuyant sur la fière devise «Je maintiendrai», à la réussite économique et sociale et à l’indépendance des Provinces-Unies.Sous la protection de Charles QuintNé à Dillenburg (actuel État de Hesse), le 24 avril 1533, Guillaume est l’aîné des cinq fils de Guillaume, comte de Nassau-Dillenburg, et de sa seconde femme Juliana, comtesse de Stolberg-Wernigerode, tous deux gagnés au luthéranisme. Héritier, à onze ans, de René de Chalon, son cousin, mort en 1544 sans enfant – la célèbre devise: «Je maintiendrai» est de Chalon –, il reçoit les possessions de celui-ci aux Pays-Bas et en Bourgogne, ainsi que la principauté d’Orange (enclavée dans le comtat Venaissin).Il est autorisé par Charles Quint à recueillir ce riche héritage, à la condition d’être élevé à la cour de Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas. Entré dans la maison de l’empereur, il devient gentilhomme néerlandais et, en 1551, épouse Anne van Buren, de la famille d’Egmont. Très apprécié de Charles Quint, il reçoit en 1552 un important commandement aux frontières de Flandre et est nommé chevalier de la Toison d’Or en 1556.En 1558, devenu membre du Conseil d’État de Bruxelles, il est désigné par Philippe II pour participer aux négociations de paix de Cateau-Cambrésis. Il est un des otages choisis par Henri II comme garants de l’exécution du traité (1559). De retour aux Pays-Bas, son influence grandit considérablement: Philippe II, avant de regagner l’Espagne, l’a nommé stadhouder de Hollande, de Zélande et d’Utrecht.Entre catholiques et protestantsDans ces provinces, non seulement l’absolutisme espagnol brime les libertés séculaires, mais il lie aux destinées d’un empire étranger un ensemble de territoires que les ducs de Bourgogne ont habitué à une grande autonomie. Guillaume est donc assuré d’être suivi par ses sujets en s’opposant au principal agent de cet absolutisme, le cardinal Granvelle, président du Conseil d’État et très écouté de Marguerite de Parme, la nouvelle gouvernante des Pays-Bas. Veuf d’Anne van Buren, morte en 1558, il épouse en 1561 Anne de Saxe, fille de l’Électeur Maurice, un des champions de la Réforme. Il n’a pu réaliser cette alliance qu’en donnant des assurances de fidélité à la fois à l’Électeur et à l’Espagne, double jeu qui le montre sous un jour assez peu favorable.Après le départ de Granvelle, obtenu grâce à Guillaume, Philippe II va-t-il infléchir sa politique autoritaire? Il n’en est rien: devant les progrès du luthéranisme aux Pays-Bas, le roi décide une action vigoureuse, avec le concours de l’Inquisition. Les représentations du Conseil d’État en faveur de la liberté de conscience restant vaines, Guillaume soutient une pétition de la petite noblesse à la gouvernante, au cours d’une campagne qui exacerbe les antagonismes comme en témoigne la «fureur iconoclaste». En 1566, un «compromis des Nobles» est signé à Breda par les partisans de la Réforme – dans le sens d’une large tolérance. Il est remarquable qu’à cette époque le prince réagit contre les violences des iconoclastes. Dans un engagement, près d’Anvers (vers 1567), il laisse même écraser les calvinistes par les troupes de la régente. On conçoit l’embarras de Guillaume: les calvinistes constituent une minorité trop souvent brutale, socialement inquiétante. Prendre ouvertement parti pour eux risque à la fois de briser le sentiment d’unité nationale des Pays-Bas, et de susciter une terrible répression. De fait, le trouble des esprits favorise les réactions du gouvernement, et Guillaume, menacé, gagne Dillenburg en résignant ses fonctions (avril 1567).L’option définitiveQuelques mois plus tard, Philippe II envoie aux Pays-Bas le duc d’Albe, qui commence une répression impitoyable dont est victime le comte d’Egmont, ami du prince d’Orange. Guillaume se décide à l’action et prend toute sa dimension d’homme d’État. On connaît ce mot qui le peint: «Je n’ai pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.» Il illustre bien ce que sera désormais l’histoire de ce prince qui entreprendra des expéditions vouées à l’échec, avec des ressources insuffisantes en argent et en hommes. Il est condamné par le «Conseil des troubles», proscrit, dépossédé, et son fils aîné envoyé comme otage en Espagne. Après avoir publié une Justification , il accentue ses efforts et commence à marquer des points parce qu’il est aidé par l’ampleur de la révolte dans les provinces septentrionales.Au début de 1572, la prise de Brielle par la flotte des Gueux de mer est déterminante, et Guillaume, pleinement engagé maintenant, en Hollande et en Zélande, vainqueur à Leyde en 1573, est reconnu par les insurgés comme stadhouder de ces deux provinces et de celle d’Utrecht. En novembre 1573, il adhère formellement au calvinisme, par conviction politique plutôt que religieuse, et deux ans après, ayant fait prononcer son divorce avec Anne de Saxe qui manifeste des troubles mentaux, il épouse Charlotte de Bourbon, fille du duc de Montpensier, récemment convertie au calvinisme. Le 8 novembre 1576, les états généraux, par la «pacification de Gand» le désignent comme stadhouder des dix-sept provinces unies, désignation de principe puisque la partie méridionale des Pays-Bas vient d’être soumise par Alexandre Farnèse, duc de Parme. Les états généraux quittent Bruxelles et se réfugient à Middelburg, puis à Delft. En janvier 1579, les provinces du Sud, par l’Union d’Arras, avaient reconnu le gouvernement espagnol, mais l’Union d’Utrecht proclame l’indépendance des provinces du Nord. Guillaume a d’abord désapprouvé cette décision qui risquait de confirmer la perte des provinces méridionales puis il s’y est rallié.Le «Père de la patrie»La situation demeure critique et les territoires devenus indépendants sont de plus en plus entamés. En 1581, Guillaume, qui s’est un instant tourné vers la France, pour que le duc d’Anjou, quoique catholique, reçoive la souveraineté des Pays-Bas, a fini par accepter des États la dignité de comte souverain de Hollande et de Zélande. Il a le chagrin de voir l’unité de la nation compromise, et celui d’être suspecté d’opportunisme par les calvinistes fanatiques. En 1580, Philippe II a mis sa tête à prix et, en réponse, Guillaume charge le prédicateur de la cour de répondre à cette mesure par une Apologie qui est une protestation de fidélité à son pays et à la liberté de conscience. En mars 1582, il est l’objet d’un attentat. L’année suivante, veuf de sa troisième femme, il épouse Louise de Coligny, ce qui resserre ses liens avec les sympathisants de France. Mais, le 10 juillet 1584, il est assassiné à Delft par Balthazar Gérard, un fanatique comtois. Il laisse de son premier mariage Philippe-Guillaume, prince d’Orange (1554-1618), du second Maurice de Nassau (1567-1625), et du quatrième Frédéric-Henri (1584-1647). Ces deux derniers lui succéderont.Sans doute n’y a-t-il pas, dans les États modernes, de personnage dont l’action puisse, à ce point, justifier le titre de «Père de la patrie», ni dont le culte soit aussi vivace. Le Wilhelmus van Nassauwe , hymne national des Pays-Bas, qui est l’œuvre de Marnix de Sainte-Aldegonde et date de 1568, associe depuis quatre siècles le nom de Guillaume à la patrie néerlandaise.
Encyclopédie Universelle. 2012.